Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

dimanche 12 février 2012

É.D.I.T./58-2012 Bande riveraine: fin des droits acquis


1. Extrait du journal Le Devoir  du 8 février 2012 :
« Protéger les rives ne brime pas les droits des riverains/Louis-Gilles Francoeur
La Cour suprême du Canada vient de confirmer la fin des droits acquis en matière d'utilisation néfaste des bandes riveraines et, du même coup, la validité du droit des municipalités d'imposer des normes de protection dans cette portion de la rive en plus de pouvoir exiger sa remise en état .Le plus haut tribunal du pays n'a pas rendu un arrêt lui-même sur cette question. Mais il a refusé au début de la dernière fin de semaine d'entendre en appel la requête d'un groupe de riverains du lac Saint-Charles, en banlieue de Québec, qui voulaient faire casser le verdict rendu par la Cour d'appel du Québec le 22 juin dernier. La Cour d'appel confirmait alors un jugement rendu par la Cour supérieure en 2010, qui reconnaissait aux municipalités le pouvoir d'imposer des règles d'usage dans la bande riveraine d'un cours d'eau sans que cela puisse être considéré comme une expropriation d'un bien privé.
C'est la Ville de Québec qui avait imposé des règles d'usage dans la bande riveraine du lac Saint-Charles, qui lui sert de réserve d'eau potable. Les citoyens contestaient son règlement, estimant qu'il équivalait à confisquer leur bien-fonds et limitait abusivement l'usage de leur propriété. Pour la Cour d'appel, les règles édictées dans ce domaine équivalent plutôt à exiger des citoyens qu'ils assument la responsabilité sociale qu'impose la proximité d'un bien commun et patrimonial comme un cours d'eau.
Le règlement de Québec imposait de restaurer la berge sur une profondeur allant de 10 à 30 mètres. Le jugement de la Cour d'appel, entériné par la Cour suprême, confirme ainsi les nouveaux pouvoirs des villes plus globalement en matière d'environnement, ce qui implique qu'elles peuvent sans expropriation ou compensation financière limiter tout autant les usages dans des boisés ou dans d'autres écosystèmes jugés sensibles ou d'intérêt public.»

2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de l’affaire Hubert Wallot et autres c. Ville de Québec,  Dossier 34440 CSC
La demande d’autorisation d’appel est rejetée avec dépens en faveur de l’intimée Ville de Québec.
Cela confirme donc la décision de la Cour d’appel : Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165 (CanLII) qui établit le droit sur cette question.

Exposé de la question posée à la Cour suprême :
Droit municipal — Règlements — Environnement — Eau — Est‑ce que l’importance de l’objectif visé par un pouvoir réglementaire justifie une municipalité d’exercer ce pouvoir de manière à déposséder un citoyen canadien de la jouissance raisonnable de sa propriété, sans indemnité? — Est‑ce qu’une municipalité peut, par l’exercice d’un pouvoir réglementaire, s’approprier un intérêt bénéficiaire sur la propriété d’un citoyen sans verser une indemnité à celui‑ci alors qu’elle n’y est pas spécifiquement autorisée par la loi? — Loi sur les compétences municipales, L.R.Q., ch. C‑47.1.

La rivière Saint‑Charles et le lac du même nom sont les principales sources d'approvisionnement en eau potable des résidants de la grande région urbaine de la Ville de Québec.  Informée en octobre 2006 de la prolifération de cyanobactéries dans certaines parties du lac, la Ville intimée doit prendre les actions qui s'imposent afin de contrer ce fléau.  Malgré certaines mesures mises en place, la condition de l’eau continue à se détériorer.  Prenant en considération l’opinion d’experts et une étude limnologique consacrée à la qualité de l’eau du haut bassin de la rivière Saint‑Charles, la Ville apprend que la déforestation des rives du lac est l’une des causes de la détérioration de celui‑ci.  Ainsi le 3 juin 2008, la Ville adopte le Règlement de l'agglomération sur la renaturalisation des berges du lac Saint‑Charles, R.A.V.Q. 301.  Certains articles de ce règlement obligent notamment les propriétaires riverains, au nom de la protection de l'eau potable et de la préservation des berges, à aménager sur leur propriété une bande riveraine permanente composée d'un amalgame d'arbres, d'arbustes et de plantes herbacées sur une largeur variant de 10 à 15 mètres selon la configuration des lieux.

Les demandeurs, tous trois propriétaires riverains visés par le règlement 301, demandent à la Cour supérieure de déclarer nul et inopposable le règlement à leur égard.  Par leur recours, les demandeurs ne contestent pas les conclusions des différents experts quant à la situation préoccupante de la qualité de l’eau du lac Saint‑Charles.  Ils ne nient pas non plus l’efficacité et la nécessité des moyens mis de l’avant par la Ville dans son règlement. Ils prétendent cependant que l'implantation de la bande de végétation leur fait perdre l'usage efficient de leur propriété et que le règlement équivaut à une confiscation de leur bien‑fonds ou à une expropriation déguisée sans compensation.


3. Commentaires, questions
Commentaire LGF sur la décision de la CA :
Extrait du journal Le Devoir du 22 juin 2011  (abrégé par dl pour éviter la redondance avec le résumé des questions ci-dessus préseneté au par. 2)
«Bande riveraine: fin des droits acquis /Louis-Gilles Francoeur
La Cour d'appel du Québec confirme que les municipalités ont non seulement le pouvoir d'imposer des normes de protection de la bande riveraine autour des lacs et en bordure des cours d'eau, mais qu'elles ont aussi le droit d'imposer aux propriétaires la remise en état cette portion de la berge, mettant fin à un prétendu régime de droits acquis que plusieurs maires invoquaient pour justifier leur inaction dans ce domaine. La Cour d'appel confirme donc un jugement rendu par la Cour supérieure en avril 2010 qui donnait raison à la Ville de Québec contre un groupe de résidants du lac Saint-Charles. [...]
Nature Québec, le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) ainsi que le groupe Écojustice de l'Université d'Ottawa ont immédiatement réagi hier en saluant ce verdict, qui constitue un des percées les plus importantes depuis une décennie en matière de droit environnemental puisqu'il confirme le pouvoir des municipalités de protéger leurs cours d'eau et d'imposer des règles pouvant aller au-delà des exigences de la réglementation ou des politiques provinciales.
[...]
Pérennité de la ressource
Pour les juges Doyon, Dutil et Gagnon, la Loi sur la qualité de l'environnement s'applique autant à Québec qu'aux organismes publics sous sa responsabilité, surtout quand le gouvernement adopte une politique de protection riveraine d'application universelle. De plus, ajoutent les trois magistrats dans un paragraphe qui sera souvent cité, la Loi sur le développement durable «prévoit que la protection de l'environnement fait partie du processus de développement durable et que l'ensemble des activités humaines doit être respectueux de la capacité de support des écosystèmes, d'où la nécessité d'en assurer la pérennité».
Et la Loi sur les ressources en eau, écrivent-ils, même si elle a été adoptée ultérieurement, fait néanmoins obligation à quiconque de prévenir ou de limiter toute atteinte à cette richesse collective que sont les cours d'eau.
Enfin, la Cour d'appel tranche que les riverains ne perdent ni leur droit de propriété ou l'usage exclusif de leur bande riveraine, même s'il est vrai que cet usage est restreint par la nécessité d'y laisser la nature se réimplanter avec une végétation complète. Quant aux villes, depuis l'adoption de la Loi sur les compétences municipales, elles ont le droit d'exercer «efficacement la plénitude» de cette nouvelle compétence en environnement. Enfin, la Charte de Québec accorde à cette ville à son article 147 le pouvoir de protéger ses sources d'approvisionnement en eau même sur le territoire d'une de ses voisines, ce qu'elle a fait sans exproprier quiconque, tranche le tribunal.
Ce dernier réfute par ailleurs l'argument des requérants qui prétendaient ne plus avoir même droit à une «fenêtre sur le lac», ce qui est faux, selon les trois juges, car la réglementation permet à chacun d'avoir une fenêtre de 10 mètres et des accès au lac sur au moins 4 mètres, ce qui autorise des aménagements et des usages multiples qui sont tout le contraire d'une expropriation déguisée, conclut le tribunal.»

4. Lien avec les modules du cours
La Loi sur la qualité de l’environnement  (LQE) est brièvement présentée au Module 4.
Le droit municipal est présenté au Module 9.
La droit de l’environnement et du développement durable (EDD) fait l’objet Module 22, nouveau, disponible en mars 2012.

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval