Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

Bienvenue

Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

jeudi 22 décembre 2011

É.D.I.T./56-2011 Valeurs mobilières--Commission fédérale--Invalidité


1. Extrait du bulletin de nouvelles de de Radio-Canada du  22 décembre 2011 :

«Valeurs mobilières : une commission nationale inconstitutionnelle

La Cour suprême du Canada estime que le projet de loi du gouvernement conservateur pour créer une commission pancanadienne des valeurs mobilières est inconstitutionnel dans sa forme actuelle. Dans sa décision unanime rendue jeudi, le plus haut tribunal au pays précise qu'il empiéterait sur les compétences provinciales.
En fait, la Cour qualifie la tentative d'Ottawa de créer une commission nationale « d'intrusion massive » dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières, jusque-là régi par les provinces. « La préservation des marchés des capitaux et le maintien de la stabilité financière du Canada ne justifient pas la supplantation intégrale de la réglementation du secteur des valeurs mobilières », peut-on lire dans le renvoi.
Tout de même, la Cour suggère au gouvernement fédéral une « démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux ».
Le projet de loi avait été soumis à la Cour suprême en juin 2010, une semaine après sa présentation par le ministre des Finances, Jim Flaherty, en raison de la forte opposition qu'il suscite chez des provinces. Ces dernières jugeaient le projet de loi anticonstitutionnel, affirmant qu'il empiète sur leurs champs de compétence.
Six provinces, soit le Québec, l'Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick, se sont prononcées contre la création d'un tel organisme devant la Cour suprême. Par ailleurs, les cours d'appel de l'Alberta et du Québec ont de leur côté jugé le projet anticonstitutionnel.
Seul l'Ontario s'était montré favorable au projet et l'a défendu sur la scène nationale. Le gouvernement ontarien pense notamment que les commissions des valeurs mobilières des provinces sont incapables de se concerter pour encadrer adéquatement les marchés financiers en cas de crises interprovinciales ou internationales.»


2. Précisions juridiques (référence contexte etc)

Il s'agit de la décision Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières , 2011 CSC 66
Titre long : Dans l’affaire d’un renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de la Proposition concernant une loi canadienne intitulée Loi sur les valeurs mobilières formulée dans le décret C.P. 2010-667 en date du 26 mai 2010.
Rendue le 22 décembre 2011

3. Commentaires, questions

La conclusion est claire tout autant que laconique (§134) :
« La Loi sur les valeurs mobilières, dans sa version actuelle, n’est pas valide, car elle ne relève pas du pouvoir général de réglementation en matière de trafic et de commerce conféré au Parlement par le par. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867

Les §§54 à 62 offrent un  un aperçu historique éclairant du principe du fédéralisme; la lecture de ces paragraphes permet à tout étudiant de faire une synthèse rapide du passage de l’interprétation du temps du Conseil privé [« compartiments étanches »,« arbre vivant [. . .] susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles »§ 56] à celle de la Cour suprême [«vision plus souple du fédéralisme qui permet le chevauchement des compétences et qui encourage la coopération intergouvernementale» §57].
Notons au passage qu’ «il est souhaitable d’adopter une approche restrictive des principes comme celui de la prépondérance fédérale» (§60).
La Cour énonce la philosophie qui devrait encadrer la collaboration :
[132]                     Il n’appartient pas à la Cour de suggérer aux gouvernements du Canada et des provinces comment procéder, en jugeant à l’avance, dans les faits, tel ou tel autre régime valide sur le plan constitutionnel.  Nous pouvons toutefois à bon droit noter l’existence d’une tendance de plus en plus marquée à envisager les problèmes complexes de gouvernance susceptibles de se présenter dans une fédération, non pas comme une simple alternative entre les deux ordres de gouvernement, mais comme une recherche coopérative de solutions qui satisfont les besoins tant de l’ensemble du pays que de ses composantes.
[133]                     Une telle approche s’inscrit dans le droit fil des principes constitutionnels canadiens et des pratiques adoptées par le fédéral et les provinces dans d’autres sphères d’activité.  Ces régimes ont pour pivot le respect par chacun des champs de compétence de l’autre et la collaboration pour principe directeur.  Le fédéralisme qui sous‑tend le cadre constitutionnel canadien n’exige pas moins.


À titre anecdotique, il est intéressant de noter que la Cour ne doute pas de son objectivité. On sait le fait que la Cour est établie par une loi fédérale et que les juges sont nommés par le fédéral à parfois fait dire que La Cour, comme la Tour de Pise, penche toujours du même côté (Maurice Duplessis).* Or il n’en n’en est rien.
«Les juges, qui sont chargés de « contrôle[r] les bornes de la souveraineté propre » des deux paliers de gouvernement, sont cet arbitre impartial (Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733, p. 741).» (§55)
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*C'est allé de fil en aiguille, mais toujours dans un sens, du côté du fédéral. Cela faisait dire à Maurice Duplessis la phrase célèbre suivante, que «la Cour suprême du Canada était comme la tour de Pise, elle penchait dangereusement toujours du même bord».[Déb CC 10 juin 1996]

4. Lien avec les modules du cours
Le partage des compétences est brièvement présenté au Module 4 et rappelé au Module 11.
La notion de valeurs mobilières est   présentée au Module 13

jeudi 1 décembre 2011

É.D.I.T./55-2011 Intoxication volontaire vs trouble mental (aa 16 et 33.1 CCR)

1. Extrait du Journal de Québec le 30 novembre 2011 :
«La Cour suprême du Canada maintient que le Gaspésien Tommy Bouchard-Lebrun, condamné à cinq ans de prison après avoir battu violemment un sexagénaire, est tenu criminellement responsable de ses actes et ce, même s'il souffrait de psychose provoquée par la consommation de drogues au moment du crime.
Le plus au tribunal du pays a ainsi rendu un jugement unanime, mercredi, dans lequel il rejette l'appel de l'accusé. Ce dernier soutenait que la Cour d'appel du Québec avait fait erreur en refusant de le déclarer non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.
Tommy Bouchard-Lebrun, âgé de 24 ans à l'époque, avait consommé des stupéfiants le soir de l'incident survenu le 24 octobre 2005. Il s'était alors rendu avec son ami Yohan Schmout, 20 ans, dans une résidence d'Amqui pour aller battre Danny Lévesque, car ce dernier portait une croix à l'envers. Il s'agissait selon eux d'un signe qu'il était l'antéchrist.
Durant l'altercation, un voisin de palier, Roger Dumas, 61 ans, est intervenu. L'accusé lui a asséné plusieurs coups de pied à la tête, alors qu'il gisait par terre après avoir été projeté en bas des escaliers.
La victime a été gravement blessée et est même devenue invalide. Elle a dû terminer ses jours à l'hôpital, où elle est décédée par la suite d'une maladie.
Bouchard-Lebrun a pour sa part été condamné à cinq ans de prison, notamment pour tentative d'entrée par effraction et voies de fait graves.
En première instance, l'accusé soutenait qu'au moment des gestes posés, il était sous l'effet d'une phychose occasionnée par l'influence de son ami et avait invoqué la défense d'intoxication volontaire.
La Cour du Québec a conclu, à la lumière de la preuve d'expert, que la psychose était due à la consommation de drogues. Elle l'a alors reconnu coupable de voies de fait graves.
En appel, la Cour a ensuite rejeté la défense de "troubles mentaux" de Bouchard-Lebrun, jugeant que la jurisprudence ne permettait pas à un accusé souffrant d'une psychose causée par la consommation de drogues dans de telles circonstances d'invoquer une telle défense.
Dans sa décision rendue relativement à cette affaire, la Cour suprême a confirmé ce point de droit et y a apporté certaines clarifications.»


2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de la décision R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58 (CanLII), http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2011/2011csc58/2011csc58.html
Résumé de SOQUIJ : Une psychose toxique peut faire partie des états d'intoxication visés par l'article 33.1 C.Cr.; en l'espèce, la Cour d'appel du Québec n'a pas commis d'erreur de droit en concluant à l'application de cet article plutôt qu'à celle de l'article 16 C.Cr. dans le cas de l'accusé, inculpé pour voies de fait graves commises alors qu'il était dans un état psychotique provoqué par la consommation de drogues.

Les §§ 89 à 91 résument le cadre d’application de l’a 33 CCR.


3. Commentaires, questions
Cette décision marque une différence important avec l’«Affaire Turcotte» de 2011 (non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental), quoique elle contienne une analyse de l’a 16 CCR (aux §§ 55 et ss) qui sera sûrement utile pour le dossier Turcotte en Cour d’appel du Québec le temps venu.
Il s’agit ici d’une infraction relativement récente --introduite au CCR par LC 1995 c 32-- qui «coupe l’herbe sous le pied», si on nous permet cette expression dans le contexte des drogues! à l’accusé qui s’est volontairement intoxiqué et qui commet un crime. Il ne peut avoir l’excuse en défense de dire : «j’étais sous l’effet d’une drogue, je ne pouvais pas avoir l’intention» (mens rea). Si la Couronne voit ainsi son fardeau allégé quant à l’intention de commettre un crime, elle doit quand même prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention de s’intoxiquer en consommant une substance.
La clé : « l’art. 33.1 C. cr. ne devrait pas être interprété de manière à limiter la portée de l’art. 16 C. cr. L’intoxication et l’aliénation mentale demeurent deux concepts juridiques distincts. En tant que défenses à des accusations criminelles, elles répondent à des logiques différentes et sont régies par des principes qui leur sont propres.» Le juge LeBel au §36.

4. Lien avec les modules du cours
La santé mentale en général est étudiée au Module 12.
La Partie XX.1 CCR (Troubles mentaux) est commentée au Module 20.

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval