Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

samedi 1 octobre 2011

É.D.I.T./53-2011 Drogues--Dépendance--Sites d’injection supervisée--Financement--Décision CSC

1. Extrait du journal Le Devoir du 1er octobre 2011 :

- La Cour suprême donne son feu vert au site d'injection supervisée Insite

- La dépendance aux drogues nécessite des traitements, et non des sanctions, disent les juges


«Le moralisme conservateur au pilori/BRIAN MYLES

La dépendance aux drogues est une maladie. Même la Cour suprême l'a reconnu de façon éclatante hier en ordonnant au ministre fédéral de la Santé de cesser de mettre des bâtons dans les roues du site d'injection supervisée (SIS) de Vancouver, Insite.L'approche moraliste défendue par les conservateurs dans les politiques sur les drogues a été battue en brèche par la Cour suprême dans cette décision unanime. Les neuf juges se rendent à l'idée que la dépendance aux drogues nécessite des traitements, et non des sanctions.

«Pour pouvoir bénéficier des services offerts par Insite, qui protègent leur vie et leur santé, les clients doivent être autorisés à posséder des drogues sur place. Interdire la possession en général met en jeu les droits à la liberté des toxicomanes; leur interdire la possession de drogues dans l'enceinte d'Insite met en jeu leurs droits à la vie et à la sécurité de leur personne», explique la Cour.

Avec cet arrêt, l'État ne pourra tout simplement plus détourner le regard face aux légions de Canadiens souffrant de problèmes de dépendance.

La Cour force le ministre de la Santé à accorder à Insite l'exemption légale nécessaire pour que les utilisateurs de drogues injectables (UDI) puissent s'injecter en toute sécurité, avec du matériel stérile, sans craindre une intervention de la police. Elle ouvre également la porte à l'ouverture de sites similaires dans le reste du pays.

Les organismes communautaires Cactus, à Montréal, et Point de repères, à Québec, ont déjà indiqué hier qu'ils allaient redoubler d'efforts pour ouvrir des SIS en s'appuyant sur cette décision. «Le seul frein maintenant, c'est le financement, a dit Louis Letellier de Saint-Just, le président du conseil de Cactus. Le ministre de la Santé du Québec ne pourra plus dire qu'il attend le jugement de la Cour pour agir.»

À Québec, le cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, s'est contenté d'affirmer que le jugement allait faire l'objet d'une étude approfondie. L'implantation de SIS fait partie d'une réflexion globale sur la toxicomanie, a-t-on précisé à La Presse canadienne.

Le premier ministre du Canada, qui se trouvait aussi à Québec hier, a fait part de sa déception. «Nous lirons la décision, mais évidemment nous allons [la] respecter», a promis Stephen Harper.

La cause d'une vie

Pour les quelque 4600 UDI qui s'entassent dans le quartier désÏuvré du Downtown Eastside, à Vancouver, les victoires comme celle-là n'arrivent qu'une seule fois dans une vie. La clientèle cible d'Insite cumule les problèmes: itinérance, maladie mentale, traumatismes résultant d'une enfance brisée par des sévices sexuels. Près de 87 % des UDI du quartier sont atteints d'une hépatite, et 17 % sont porteurs du VIH.

La Cour ne peut trouver dans ce quartier morose des utilisateurs de drogues injectables qui ont fait «le choix» de s'injecter à toute heure du jour à des fins dites récréatives. «Par la nature même de leur dépendance, les consommateurs de drogues injectables mènent une vie désespérée et dangereuse», constate le tribunal. Leur refuser des soins est une violation flagrante de leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne.

Dean Wilson et Shelly Tomic, deux requérants dans cette cause à la Cour suprême, sont l'exemple même de la dure réalité du Downtown Eastside. M. Wilson a commencé à s'injecter à l'âge de 13 ans, et malgré de nombreuses tentatives de sevrage, il a souvent rechuté. Quant à Mme Tomic, ses problèmes ont commencé à sa naissance, alors qu'elle était déjà dépendante aux méthamphétamines.

Insite a ouvert ses portes en 2003 pour répondre aux besoins des UDI qui se trouvaient dans la même situation qu'eux: incapables de s'arrêter, et difficiles à rejoindre par la santé publique.

Le SIS de Vancouver ne leur vend pas de drogue, mais il leur permet de s'injecter avec du matériel stérile et d'avoir accès à des soins de santé. Le site a permis de réduire du tiers les morts liées aux surdoses. «Insite a sauvé des vies et a eu un effet bénéfique en matière de santé, et ce, sans provoquer une hausse des méfaits liés à la consommation de drogues et de la criminalité dans le quartier», constate la Cour suprême.

Débordant de joie peu après qu'il eut pris connaissance du jugement, Dean Wilson a souligné qu'il était toujours en vie grâce à Insite. «On a réussi! On a réussi après 14 ans!», s'est-il exclamé. «Mettons les idéologies de côté et commençons à travailler ensemble», a-t-il lancé à l'intention du gouvernement.

Vagues intentions

Au-delà des déclarations de principes, les intentions du fédéral sont demeurées vagues. Aux Communes, la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, était de toute évidence contrariée par cette décision. Se disant «déçue», elle a indiqué que le gouvernement se plierait au jugement.

«Nous croyons que le système devrait s'attarder à prévenir que les gens deviennent dépendants aux drogues. Un des piliers centraux de notre stratégie nationale antidrogue est la prévention et le traitement de ceux aux prises avec une dépendance aux drogues», a-t-elle expliqué.

L'opposition officielle n'est pas du tout rassurée, la ministre ayant indiqué à sept reprises qu'elle allait «réviser» la décision, sans expliquer à quelles fins.

Ce flou inquiète une députée néodémocrate de la Colombie-Britannique, Libby Davies. À son avis, les conservateurs n'ont jamais cherché à comprendre la mission d'Insite en raison de leurs «Ïillères idéologiques».

«Je ne pense pas qu'un ministre de la Santé ait jamais visité Insiste. [...] Quand la ministre nous dit qu'elle appuie la prévention et le traitement, et bien, Insite fait partie de ce continuum», a commenté Mme Davies.

Le jugement est très dur à l'égard du credo conservateur en matière de lutte contre la drogue. Dans ses arguments, le procureur général a fait valoir que la consommation de drogue était un choix personnel, et non un problème de santé publique. Selon cette implacable logique, ceux qui commettent des crimes doivent être prêts à en subir les conséquences. Ces arguments sont balayés du revers de la main par la Cour suprême, qui juge la décision prise par le ministre de la Santé de l'époque, Tony Clement, «arbitraire» et de portée «excessive».

Insite ne pouvait opérer sans obtenir au préalable une exemption du ministre de la Santé en vertu de l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cette exemption permet de suspendre l'application de la loi pour des raisons scientifiques ou médicales, et elle a permis à Insite d'accueillir sa clientèle sans craindre de subir les foudres de la police (qui était favorable au projet de toute façon).

Lorsque le ministre Clement a annoncé son intention de ne pas reconduire l'exemption, sans raison claire, Insite s'est tourné vers les tribunaux. À toutes les étapes de cette longue marche, les arguments d'Insite en faveur d'une approche de santé publique ont trouvé leur pleine confirmation.

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Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti et d'Antoine Robitaille

Avec La Presse canadienne»

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2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de la décision Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 http://csc.lexum.org/fr/2011/2011csc44/2011csc44.html

La décision comporte 159 paragraphes.


3. Commentaires, questions

Cette décision devait d’abord, sans surprise, disposer de la question du partage des compétences en droit de la santé.Extraits pertinents du résumé de la Cour :

Première clé : Les interdictions criminelles de possession et de trafic établies par la Loi sont valides sur le plan constitutionnel

Deuxième clé : Il n’y a aucune contradiction entre affirmer qu’une loi fédérale a été validement adoptée en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 et prétendre que cette même loi, par son objet ou ses effets, prive des personnes de leurs droits garantis par la Charte.

Troisième clé : La discrétion laissée au ministre de la Santé n’est pas absolue : comme c’est toujours le cas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les décisions du ministre doivent respecter la Charte. Si la décision du ministre occasionne une application de la Loi qui restreint les droits garantis par l’art. 7 d’une manière qui contrevient à laCharte, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est inconstitutionnel.


4. Lien avec les modules du cours

Cette décision touche aux questions de santé (Module 12), de services sociaux (Module 18) et de droit criminel (Modules 19-21).

La dimension constitutionnelle est présenté au Module 4 pour la première fois et rappelée dans tous les Modules par la suite. Dans cette décision, on trouve une excellente synthèse jurisprudentielle sur la doctrine de l’ exclusivité des compétences, aux §§ 57 et ss.


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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval