Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

Bienvenue

Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

mercredi 23 décembre 2009

É.D.I.T./38-2009 Diffamation--Médias--Défense de communication responsable

Le 23 décembre 2009

1. Extrait du journal Le Devoir le 23 décembre 2009 :
La Cour suprême tranche en faveur du journalisme responsable
Stéphane Baillargeon

La Cour suprême a tranché: au bout du compte médiatique, l'important, ce n'est pas vraiment de dire entièrement et totalement vrai. L'important, c'est de présenter des faits vérifiés et d'intérêt public dans une optique de «communication responsable».Le jugement du plus haut tribunal du pays, rendu hier matin à l'unanimité dans deux causes, rétablit un équilibre entre la protection de la réputation des citoyens et la liberté de presse. Il n'accorde tout de même pas le droit de faire n'importe quoi. Pour remporter une cause de diffamation, un média canadien poursuivi devra démontrer que la nouvelle concernée était d'intérêt public et que des mécanismes de vérification ont été mis en branle pour vérifier et contre-vérifier de manière responsable l'exactitude des faits rapportés.

Le double jugement net et tranché soulage les producteurs et les diffuseurs d'information, y compris les blogueurs, qui s'en donnaient à coeur joie hier. Seulement, la décision concerne d'abord et avant tout les provinces où s'applique la Common Law en cette matière. Partout au Canada sauf au Québec, quoi. Ici, le droit civil a déjà orienté dans le même sens les décisions de cours québécoises.

«La Cour suprême harmonise la Common Law et le droit civil québécois», dit Me François Fontaine, spécialiste des litiges en matières civiles au cabinet Ogilvy Renault. «Le référence au journalisme responsable me fait immédiatement penser au critère que nous connaissons en droit civil, celui de la diligence raisonnable.»

La décision concerne directement deux poursuites distinctes entamées contre deux journaux ontariens, le Toronto Star et le Ottawa Citizen. Les deux procès devront être repris.

Dans le premier cas, l'homme d'affaires Peter Grant poursuivait le quotidien de Toronto pour un article concernant l'agrandissement d'un terrain de golf. Les voisins du terrain interviewés liaient l'obtention du permis d'agrandissement à l'amitié de M. Grant avec le premier ministre ontarien Mike Harris. La cause a rebondi d'instance en instance jusqu'à ce que la Cour d'appel renverse une décision inférieure d'accorder 1,5 million à l'homme d'affaires sur la base de cette référence à la «communication responsable. Le montant comprenait un million en dommages exemplaires, l'une des plus importantes sommes du genre jamais accordées au Canada.

L'autre cause octroyait 125 000 $ à Danno Cusson, un ancien policier provincial de l'Ontario qui s'était rendu avec son chien pisteur à New York, juste après les attentats du 11 septembre 2001. Un tribunal avait conclu que certains articles du Ottawa Citizen portaient atteinte à sa réputation en le présentant comme un faux expert. Là encore, la Cour suprême juge que les erreurs factuelles sont acceptables dans la mesure où les journalistes concernés ont agi de manière responsable en traitant d'une histoire servant l'intérêt public.

«Il est déjà reconnu en droit civil québécois que le fait de diffuser une information fausse n'est pas nécessairement une faute, explique Me Fontaine. Si le média fait la démonstration qu'il a pris les moyens raisonnables pour vérifier ce qu'il diffuse, pour rapporter des faits véridiques ou qu'il a raison de croire vrais -- et on ne parle pas d'opinions --, le fait de se tromper peut ne pas constituer une faute. Quand il n'y a pas de faute, il n'y a pas de dommages en responsabilité civile. La Common Law nous dit maintenant que si un média publie une information qui [se révèle] fausse, mais sur un sujet d'intérêt public et après un travail journalistique impeccable, il ne sera pas responsable. C'est semblable à la responsabilité professionnelle d'un avocat qui a le droit de se tromper tant qu'il fait les meilleurs efforts.»

Les juges établissent enfin qu'«il faut éviter que les poursuites ou les menaces de poursuites en diffamation servent d'armes permettant aux riches et aux puissants d'entraver la diffusion d'informations et le débat essentiel à une société libre».


2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit des décisions Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61 (CanLII),[http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2009/2009csc61/2009csc61.html]
(146 paragraphes) et Quan c. Cusson, 2009 CSC 62 (CanLII),[http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2009/2009csc62/2009csc62.html](52 paragraphes).

3. Commentaires, questions
Il s'agit bien d'un virage jurisprudentiel «Il convient donc de modifier les règles relatives à la diffamation pour y inclure la défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public». Voir à ce sujet les deux premiers paragraphes de la seconde décision ;

«[1] Le présent pourvoi, ainsi que le pourvoi connexe Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61 (CanLII), 2009 CSC 61 (rendu simultanément), porte sur la question de savoir s’il y a lieu de modifier les règles de common law en matière de diffamation afin d’offrir une plus grande protection aux énoncés de fait diffamatoires publiés de façon responsable.

[2] Comme il est expliqué dans Grant, le temps est venu de reconnaître un nouveau moyen de défense — la défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public. Il s’agit en l’espèce de déterminer si les défendeurs peuvent invoquer ce moyen de défense.»

Nous avons ici une belle illustration de la création du droit par la jurisprudence.

4. Lien avec les modules du cours

La communication et la Presse sont abordés au Module 11.
Les Chartes sont présentées au Module 4
La jurisprudence et les tribunaux font l'objet du Module 7

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval